Raoul Marc JENNAR

Quand l’Union Européenne tue l’Europe


12 QUESTIONS SUR LE
« TRAITE ETABLISSANT UNE CONSTITUTION POUR L’EUROPE »  
QUI MET FIN AU MODELE EUROPEEN



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Quand l’Union Européenne tue l’Europe

TABLE DES MATlERES


Introduction
1. Quel est le statut de ce texte baptisé “constitution ” ?
2. La Constitution est-elle neutre philosophiquement ?
3. La Constitution est-elle neutre idéologiquement ?
4. Le principe de la souveraineté du peuple est-il respecté par la Constitution proposée ?
5. La Constitution offre-t-elle des garanties pour l’indépendance et la neutralité de la Commission européenne ?
6. La Constitution représente-t-elle “un pas en avant ” social ?
7. La Constitution permet-elle l’existence de services publics ?
8. La Constitution offre-t-elle la garantie de pouvoir mettre en œuvre une politique étrangère et de défense européennes ?
9. La Constitution protège-t-elle les Européens contre la mondialisation néolibérale ?
10. Comment pourra-t-on modifier la Constitution dans l’avenir ?
11. Par rapports aux traités en vigueur, en quoi la Constitution apporte-t-elle des éléments positifs ?
12. Quelles seraient les conséquences du rejet de la Constitution proposée ?
Conclusion : Une formidable régression qui consacre une restauration conservatrice


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Quand l’Union Européenne tue l’Europe

INTRODUCTION

Je suis irréductiblement attaché à l’idée d’Europe. Parce que cette idée recèle un modèle original, unique, de structuration des rapports humains. C’est dans l’espace européen que sont nées à la fois l’exigence des droits individuels créateurs de la liberté, mais également la revendication des droits collectifs qui organisent la solidarité. Cette double exigence n’a été formulée nulle part ailleurs sur notre planète avant qu’elle le soit par les Européens. Elle fonde l’Europe. Si l’Europe sans la liberté n’est pas l’Europe, l’Europe sans la solidarité, ce n’est pas davantage l’Europe.

Je me suis attaché, dans un livre paru il y a peu (Europe, la trahison des élites, Paris, Fayard, 2004), à démontrer, exemples concrets à l’appui, le caractère hémiplégique de ce qu’il est convenu d’appeler “la construction européenne. ” Tout pour le commercial, l’économique, le financier ; rien ou très peu pour le social, le fiscal, l’environnemental. Des pouvoirs de plus en plus considérables concentrés dans des mains de moins de moins en moins contrôlées. Des traités et des directives qui expriment les attentes des intérêts privés sans que le service de l’intérêt général soit privilégié, ni même protégé. Des comportements impérieux, arrogants et égoïstes dans les négociations internationales au service exclusif des patrons européens, au mépris des droits des peuples.

La parution de mon livre, en avril 2004, a suscité un grand intérêt dans le mouvement social. J’ai été convié à m’exprimer devant de très nombreux auditoires en Belgique, en France, au Grand-duché de Luxembourg. Le texte définitif du traité constitutionnel n’avait pas encore été adopté et seule était connue ce que beaucoup appelaient “la Constitution Giscard ”. La question du mode de ratification par la France n’avait pas encore été tranchée. Les élections européennes toutes proches réveillaient l’intérêt pour les questions européennes, même si beaucoup déclaraient vouloir s’abstenir. Les interrogations du public étaient nombreuses et les débats furent très ouverts. Ma participation, en rue et sur les marchés, à une collecte de signatures en faveur d’une pétition réclamant, en France, l’organisation d’un référendum pour la ratification du traité constitutionnel m’a également permis d’entendre un grand nombre de réflexions et de questions.

La campagne électorale pour le renouvellement du Parlement européen fut, elle aussi, un moment particulièrement enrichissant pour l’observateur. J’ai été pour ma part stupéfait et consterné par la présentation caricaturale que des journalistes et des acteurs politiques ont donné, pendant cette campagne, du projet de traité constitutionnel. Singulièrement parmi ceux qui se réclament d’un certain nombre de valeurs dites de gauche, chez des sociaux démocrates comme chez les Verts, le souci de faire dire à ce projet ce qu’il ne dit pas et de dissimuler ce qu’il dit, la volonté délibérée de brouiller les cartes ont été poussés à un degré consternant pour tous ceux qui pensent que le débat politique n’exclut pas l’honnêteté intellectuelle. Les mêmes poursuivent leur travail de désinformation dans la perspective du référendum de ratification.

Enfin, les élections elles-mêmes et, à leur suite, le comportement des gouvernements et des partis politiques ont nourri la réflexion. Sur 350.873.420 électeurs inscrits pour l’élection du Parlement européen, 201.401.343, soit 57,4% ont choisi de ne pas s’exprimer. Et les 732 députés élus ne tirent leur légitimité que d’un tiers de l’ensemble de la population européenne. Les citoyens sont lucides. Ils savent qu’il leur est impossible d’influencer les décisions européennes. Ils savent qu’ils n’ont aucun moyen d’approuver ou de désapprouver les commissaires européens qui disposent d’énormes pouvoirs comme le commissaire au commerce, négociateur unique au nom de 25 Etats dans les négociations à l’OMC et dans toutes les négociations commerciales internationales ou le commissaire à la concurrence qui dispose tout à la fois de pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires ou encore le commissaire au marché intérieur qui entend mettre fin à l’autonomie des pouvoirs locaux et supprimer les services publics dans toute l’Europe. A quoi bon déléguer la souveraineté populaire à des représentants dépourvus de réels pouvoirs de contrôle sur l’exécutif le plus puissant d’Europe ?

Les gouvernements et les partis politiques n’ont pas tiré les leçons de cette abstention massive. Ils se sont gardés de l’expliquer par le refus de plus de deux cent millions de personnes de participer à la comédie d’une démocratie au rabais. Les gouvernements ont approuvé, après l’avoir modifié ici et là, le projet de traité constitutionnel dont le débat électoral avait pourtant indiqué à quel point il ne répondait pas aux attentes des peuples. Pour présider la Commission européenne, ils ont choisi le Premier ministre portugais, un des grands battus des élections du 13 juin, un homme qui incarne une droite conservatrice (son hostilité à l’égalité homme-femme et son exigence d’une référence au christianisme dans la Constitution), néolibérale (partisan de l’Etat minimum, il a poussé à la privatisation de la santé et de la distribution de l’eau ; il a été désigné comme “global Leader for Tomorrow” par le Forum économique mondial de Davos), atlantiste (il a organisé un sommet aux Acores entre les partisans de l’invasion de l’Irak).

En un mot, les gouvernements ont choisi, pour incarner l’Union européenne, un profil politique radicalement éloigné des idéaux européens. Les partis politiques quant à eux ont repris les pratiques médiocres qui détournent de la démocratie. La social-démocratie, après avoir fait campagne pour une “Europe sociale”, qu’elle n’a pas concrétisé quand elle en avait la possibilité politique, s’est acoquinée avec le principal groupe de droite, le plus hostile à toute Europe sociale, pour partager entre eux tous les postes clés du Parlement européen.

Afin de faciliter la réflexion sur un document confus et pléthorique, particulièrement ardu à lire et à comprendre, j’ai donc choisi de répondre aux questions que j’ai entendues le plus souvent.

L’ensemble institutionnel baptisé “union européenne” incarne une Europe qui ne correspond guère à l’Europe espérée et promise il y a une cinquantaine d’années. Ratifier la Constitution adoptée par les Chefs d’Etat et de gouvernement aura pour effets de renforcer, de légaliser et de pérenniser une Europe qui est de moins en moins européenne et qui s’identifie de plus en plus au modèle de société développé aux Etats-Unis.

L’analyse qui suit se base sur la version consolidée provisoire (avec une numérotation provisoire) établie par le secrétariat de la conférence intergouvernementale, après approbation du texte par les Chefs d’Etat et de gouvernement, à Bruxelles, le 18 juin 2004 (CIG 86/04 du 25 juin 2004) ainsi que sur la version consolidée provisoire des protocoles annexés au traité établissant une Constitution pour l’Europe et de ses annexes I et II (CIG 86/04 ADD 1) et enfin sur la version consolidée provisoire des déclarations à annexer à l’Acte final de la Conférence intergouvernementale (CIG 86/04 ADD 2)(voir note en bas de page). Pour la compréhension des références, il faut savoir que le traité est composé de quatre parties numérotées en chiffres romains (I, II, III, IV) et composées d’articles numérotés en chiffres arabes. Lorsque ce chiffre est suivi d’une virgule elle-même suivie d’un autre chiffre, ce dernier indique le paragraphe de l’article auquel il est fait référence (par exemple : I-51,1). Après la signature solennelle du texte par les Chefs d’Etat et de gouvernement à Rome, le 29 octobre 2004, commence la période pendant laquelle cette Constitution doit être ratifiée dans chacun des 25 Etats de l’Union. Ce processus de ratification se termine avant le 1er novembre 2006.

Les enjeux du choix – dire oui ou non à cette Constitution – sont tels pour notre génération, mais aussi pour celles qui viennent, qu’il appartient aux citoyennes et aux citoyens de se prononcer. D’autant que dans aucun des Etats, les élus nationaux n’ont été investis d’un pouvoir constituant, lors du dernier scrutin en date dans chaque pays. Lorsque le référendum n’est pas prévu par le droit national, il est toujours possible d’organiser une consultation de la population ayant valeur indicative.

Mosset, 21 août 2004

Note du webmestre: La version CIG 87/2/04 REV 2 étant maintenant disponible, les références ont été modifiées en conséquence.

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