Quand l’Union Européenne tue l’Europe
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LA CONSTITUTION OFFRE-T-ELLE DES GARANTIES POUR L’INDEPENDANCE ET LA NEUTRALITE DE LA COMMISSION EUROPEENNE ?

L’évolution démocratique amorcée au XVllle siècle a conduit chaque Etat à organiser en son sein, avec plus ou moins de bonheur, les équilibres nécessaires de telle sorte qu’à toute influence s’oppose une influence contraire afin de privilégier l’intérêt général. Selon la formule célèbre, “ il faut que le pouvoir arrête résolument le pouvoir”.

On mesure généralement les progrès de l’intégration européenne au degré d’indépendance conféré aux institutions dites communautaires, c’est-à-dire, principalement, la Commission européenne. Plus son degré d’autonomie se renforce, plus l’intégration avance, affirme-t-on. Mais on ne prend en compte que l’autonomie de la Commission par rapport aux Etats membres. On ne s’intéresse jamais à l’autonomie de la Commission par rapport aux groupes de pression. On ne se soucie guère du rôle de la Commission comme gardienne de l’intérêt général. Ce rôle est-il effectivement assuré ? L’observation des faits démontre le contraire.

La Constitution proposée affirme que “ la Commission promeut l’intérêt général et prend les initiatives appropriées à cette fin ” (I-26,1) et “ exerce ses responsabilités en pleine indépendance ” et que ses membres “ ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement ni institution, organe ou organisme ” (I-26,7).

Or, comme j’en ai fait la démonstration dans Europe, la trahison des élites, la Commission européenne est actuellement le pouvoir exécutif le plus perméable aux milieux d’affaires, aux groupes de pression patronaux. C’est le bras politique européen des firmes privées et des organismes financiers. Il suffit de comparer – ce que les médias ne font jamais – les propositions de ces milieux avec les propositions de la Commission. Il suffit de relever – ce que les médias ne font presque jamais – les propos que tiennent les Commissaires européens lorsqu’ils sont invités à la tribune des groupes de pression patronaux ou lorsqu’ils s’expriment dans des enceintes comme l’OCDE, le FMI, la Banque Mondiale ou l’OMC.

Il est difficile de considérer que la Commission “promeut l’intérêt général” quand ses membres s’engagent devant les patrons à suivre leurs recommandations. Ainsi, le Commissaire au commerce de la Commission Prodi, le social-démocrate français Pascal Lamy, déclarait devant l’assemblée d’un des plus puissants groupes de pression du monde des affaires, le TransAtlantic Business Dialogue (TABD) : “ Les relations de confiance et les échanges d’informations entre le monde des affaires et la Commission ne seront jamais nombreux. (...) Nous consentons de grands efforts pour mettre en oeuvre vos Recommandations dans le cadre du partenariat économique transatlantique et, en particulier, il y a eu des progrès substantiels dans les nombreux domaines sur lesquels vous avez attiré notre attention. (...) En conclusion, nous allons faire notre travail sur la base de vos Recommandations 5

Il est encore plus difficile de croire à l’indépendance d’une Commission qui sollicite des milieux d’affaires des instructions. Le même Pascal Lamy, devant les mêmes patrons déclarait : “Nous ferons ce que nous avons à faire d’autant plus facilement que, de votre côté, vous nous indiquerez vos priorités (...) Je crois que le monde des affaires doit aussi parler franchement et convaincre que la libéralisation du commerce et en général la globalisation sont de bonnes choses pour nos peuples 6
Etrange indépendance que celle d’une Commission dont les membres entretiennent des liens étroits avec des cercles aussi secrets que la Commission Trilatérale ou le Groupe Bilderberg, par exemple ! Dans ces clubs fort particuliers se retrouvent les plus puissants hommes d’affaires, des banquiers, un certain nombre de décideurs politiques, des universitaires et quelques journalistes réputés pour leur influence sur l’opinion ainsi que le secrétaire général de l’OTAN ou encore le directeur général de l’OMC.


Ils entendent, dans l’ombre, influencer les décisions politiques et diriger le monde. Ils n’hésitent pas à remettre en cause l’ordre démocratiqueQuelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire”, déclarait David Rockefeller, fondateur du Bilderberg puis de la Trilatérale
7 . Parmi les travaux de doctrine qui ont inspiré l’offensive en faveur de l’Etat minimum, on trouvait un rapport de la Commission Trilatérale intitulé The crisis of Democracy dans lequel on pouvait lire : “Il y a des limites désirables à l’extension de la démocratie politique”. Ces deux clubs sont les véritables architectes de la mondialisation néolibérale.
Le Président de la Commission européenne Romano Prodi a été membre du comité de direction du Groupe Bilderberg. Une cheville ouvrière de ce groupe est un ancien vice-président de la Commission, le vicomte belge Etienne Davignon, grand liquidateur de la sidérurgie européenne, ancien président de la Société Générale de Belgique, membre du Conseil d’administration de très nombreuses sociétés. Deux des membres les plus importants de la Commission Prodi, MM. Lamy et Monti, participaient aux réunions du Bilderberg en 2001 et 2003. Monti avait été membre du comité de direction de Bilderberg de 1983 à 1993. D’autres membres de la Commission Prodi ont participé soit aux travaux de la Trilatérale (Pedro Solbes Mira, Chris Patten) ou du Groupe Bilderberg (Franz Fischler, Erikki Liikanen, Gunther Verheugen, Antonio Vitorino). José Manuel Barroso, le nouveau président de la Commission, était un des invités du Groupe Bilderberg en 2003.
La Constitution crée-t-elle une incompatibilité entre la fonction de Commissaire européen et la participation aux activités de groupes et de réseaux d’influences délibérant à huis clos sur des projets qui visent à soumettre les Etats et les peuples à la toute puissance des firmes privées ? Aucune.

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