Quand l’Union Européenne tue l’Europe
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QUELLES SERAIENT LES CONSEQUENCES DU REJET DE LA CONSTITUTION PROPOSEE ?

L’article IV-447 de la Constitution établit que :

“1. Le présent traité sera ratifié par les Hautes Parties Contractantes, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Les instruments de ratification seront déposés auprès du gouvernement de la République italienne.

2. Le présent traité entrera en vigueur le 1er novembre 2006, à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés ou, à défaut, le premier jour du deuxième mois suivant le dépôt de l’instrument de ratification de l’Etat signataire qui procédera le dernier à cette formalité.”

Il faut donc que les 25 Etats ratifient le texte proposé pour qu’il entre en vigueur. Le rejet par un seul entraînera en théorie le rejet du texte. Mais les 25 gouvernements ont adopté une déclaration annexée à la Constitution par laquelle ils indiquent que, “si à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la signature du traité établissant la Constitution, les quatre cinquième des Etats membres ont ratifié ledit traité et qu’un ou plusieurs Etats membres ont rencontré des difficultés pour procéder à la dite ratification, le Conseil européen se saisira de l’affaire” (CIG 86/04, ADD2, p.72).

Ce qui signifie que si, fin octobre 2006, la Constitution a été ratifiée par 20 pays, le sort de ce texte dépendra du type de pays qui l’a refusé. Or, la manière dont les gouvernements ont traité le peuple danois (rejet du traité de Maastricht) et le peuple irlandais (rejet du traité de Nice) lorsque ceux-ci ont rejeté par référendum un traité européen fournit une indication très claire sur le respect tout relatif témoigné à l’égard de la volonté populaire lorsqu’elle contrarie les projets inspirés par le monde des affaires. Le vote alors perd sa vertu de décision sans appel et les peuples récalcitrants sont invités à recommencer jusqu’à ce qu’ils votent comme il convient au patronat et à ses relais politiques.

Ce qui s’est avéré possible avec des petits pays serait sans nul doute impossible s’il s’agissait de l’Allemagne, de l’Espagne, de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, tout simplement parce que ces pays cumulent les atouts de la superficie, de la population et du poids économique. Un refus polonais pèserait lourd, lui aussi, dans la mesure où ce pays symbolise la réunification de l’Europe.

Un gouvernement qui a adopté le projet de Constitution peut compter sur le soutien de sa majorité parlementaire. Dès lors, chaque fois que la ratification passera par la procédure parlementaire, il ne fait aucun doute que la Constitution sera ratifiée.

La possibilité d’un rejet ne peut dès lors venir que du peuple lui-même lorsqu’un référendum lui accorde la possibilité de choisir. Le Danemark, l’Irlande, le Luxembourg et le Portugal ont décidé d’en organiser un. Mais on vient de voir que si les peuples de ces pays et eux seuls rejettent la Constitution, le Conseil européen trouvera une solution en vertu de la déclaration annexée à la Constitution. Par contre, les référendums annoncés en Espagne, en France et en Grande-Bretagne auront un impact déterminant.

Un rejet britannique ne suffirait pas à remettre en cause le contenu de ta Constitution. L’hostilité des habitants du Royaume Uni (qui n’est ni dans la zone Euro, ni dans l’espace Schengen) au principe de l’intégration européenne serait avancée comme la motivation principale du rejet. C’est le statut de la Grande Bretagne dans l’Union européenne qui ferait alors débat. Par contre un rejet espagnol ou français, surtout s’il n’est pas isolé et s’il ne peut s’expliquer simplement par des motivations nationalistes ou souverainistes ou eurosceptiques, ouvrira une crise sérieuse.

Ce ne serait pas la catastrophe annoncée déjà par les partisans de la Constitution qui vont user de ce chantage. Contrairement à ce qu’ils laissent entendre, l’alternative n’est pas entre la Constitution ou le chaos. Si la Constitution est rejetée, les textes en vigueur demeurent d’application et assurent ainsi la continuité. Et il est important de souligner que cela ne présente aucun dommage. En effet, en ce qui concerne l’emploi (III- 203 à 208), la politique sociale (III-209 à 219), la cohésion économique, sociale et territoriale (III-220 à 224), l’agriculture et la pêche (III-225 à 232), l’environnement (III-233 à 234), la protection des consommateurs (III- 235), les transports (III-236 à 245), les réseaux transeuropéens (III-246 et 247), la recherche, le développement technologique et l’espace (III-248 à 255), la santé publique (III-278), l’industrie (III-279), la culture (III- 280), le tourisme (III-281), l’éducation, la jeunesse, le sport et la formation professionnelle (III-282 et 283), aucune modification, donc aucune amélioration n’est apportée par rapport aux dispositions actuellement en vigueur. Repousser la Constitution proposée n’affectera en rien les politiques en cours de l’Union européenne en ces matières.

Certains disent : “ Si ce n’est pas la Constitution, c’est le retour à cet horrible traité de Nice”, c’est-à-dire au traité actuellement en vigueur. Ils oublient qu’ils sont eux-mêmes à l’origine de ce traité. Ils oublient qu’à l’issue du sommet de Nice, la présidence française (Chirac-Jospin) avait alors célébré les résultats obtenus. La ministre française de la Justice de l’époque, la social-démocrate Elisabeth Guigou, n’avait pas de mots assez durs pour ceux qui osaient critiquer les résultats de Nice, et traitait par le mépris ceux qui, à cette occasion, déploraient le manque de lisibilité des textes 24. On peut toujours se demander si le traité de Nice est à ce point mauvais, pourquoi les mêmes qui le caricaturent ainsi ont-ils demandé qu’il soit ratifié ?

Une fois cette Constitution rejetée, l’avenir est de nouveau ouvert. Tous les spécialistes du processus d’intégration européenne sont d’accord : ce processus n’avance qu’à coup de crises. Aujourd’hui, une crise est indispensable pour rééquilibrer l’ensemble. Rejeter la Constitution proposée provoquera cette crise. Ce qui obligera les élus et les gouvernements à reprendre le travail. Le choc provoqué par un tel rejet forcera au respect de procédures conformes aux exigences démocratiques pour l’élaboration d’une authentique Constitution consacrant avec une égale intensité les conditions de la liberté et de la solidarité.


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