Quand l’Union Européenne tue l’Europe
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QUEL EST LE STATUT ET LA PORTEE DE CE TEXTE BAPTISE " CONSTITUTION " ?

1. Cette “constitution” n’émane pas d’une assemblée constituante
Ce qu’on entend, en démocratie, par Constitution fait obligatoirement référence à un processus d’élaboration dans lequel le texte érigé en norme juridique suprême trouve sa légitimité.
Une Constitution classique résulte des débats publics d’une assemblée constituante élue à cet effet et au sein de laquelle se manifeste la volonté souveraine du peuple. Chaque fois que la communauté internationale, par l’intermédiaire de l’ONU, est appelée à aider un peuple à reconstituer un Etat, son rôle consiste à organiser l’élection d’une assemblée constituante chargée de rédiger une Constitution. Cette exigence démocratique n’a pas été satisfaite pour la rédaction de la Constitution européenne dont une large part du texte résulte des travaux d’une assemblée cooptée : la Convention. Les membres de celle-ci ne détenaient de la part des électeurs aucun mandat pour rédiger une Constitution. Le texte final soumis à ratification n’est que le produit de négociations entre gouvernements.
On ne se trouve donc pas en présence du processus démocratique d’élaboration d’une Constitution. Il s’agit d’un traité international improprement dénommé “constitution”. Les conditions d’élaboration de la Constitution européenne lui enlèvent toute légitimité en tant que Constitution.


2. Elle ne consacre pas la souveraineté populaire
Qu’est-ce qu’une Constitution ? À l’origine, tant pour les insurgés du Nouveau Monde que pour les acteurs de la Révolution française, une Constitution traduit la volonté populaire de mettre fin ou de prévenir toute forme d’arbitraire et consacre ce principe affirmé et concrétisé au XVlll ème siècle : tous les pouvoirs émanent du peuple.
Le texte proposé, au contraire, retourne aux temps obscurs où les puissants, source de la légitimité et de l’autorité, octroyaient ici ou là quelques libertés selon leur bon plaisir... et leurs intérêts. Il nous ramène à la conception de l’Etat qui prévalait sous l’Ancien Régime, quand le monarque gouvernait ses sujets par droit divin.


3. Ce n’est pas un texte court, simple, compréhensible par tous
Une Constitution définit les modalités d’un vouloir vivre en commun. Elle détermine les droits et libertés des citoyennes et des citoyens et organise les pouvoirs dans l’Etat, l’étendue de leurs compétences et la manière dont ils sont constitués. Elle arrête des principes dont la loi organise la mise en œuvre. Erigée en norme suprême, elle indique les procédures de vérification de la conformité des autres normes à ces principes. C’est donc forcément un texte simple, clair, précis et court. Le seul texte de la Constitution proposée compte 453 articles.
Il est complété par 36 Protocoles, 2 Annexes et 39 Déclarations. Au total 765 pages (format A4). Dans certains cas, la compréhension et l’interprétation des articles de la Constitution réclament le recours aux Protocoles, Annexes et Déclarations. Le texte est à ce point confus et inintelligible qu’on a pu assister sur un plateau de télévision au spectacle déroutant de deux juristes de même sensibilité politique s’opposer sur l’interprétation qu’il fallait donner de l’une ou l’autre disposition !


4. Elle consacre la prééminence des décisions européennes
Pourquoi baptiser “constitution” un traité européen ? La charge symbolique est forte puisqu’une Constitution, dans l’architecture du droit interne, c’est le texte suprême, celui qui s’impose à toutes les autres normes et auquel celles-ci doivent se conformer. On veut donc accorder à ce nouveau traité européen la prééminence accordée à la loi suprême dans le droit de chaque pays.
Certes, la prééminence du droit européen est à la base du principe de supranationalité déjà inscrit dans le traité de Rome de 1957 et confirmé par deux arrêts célèbres de la Cour de Justice des Communautés européennes qui ont consacré la primauté du droit communautaire en cas de conflit avec le droit national. Cette prééminence est confirmée par l’article I-6 de la Constitution proposée : “La Constitution et le droit adopté par les institutions de l’Union dans l’exercice des compétences qui lui sont attribuées ont la primauté sur le droit des Etats membres ”. Même un règlement adopté par la Commission aura prééminence sur la Constitution et les lois des Etats membres.


5. Elle érige en normes constitutionnelles ce qui relève de choix politiques circonstanciels
Une Constitution énonce des principes qui s’imposent à l’ensemble des normes (lois, décrets, arrêtés, etc.). Les modalités de leur mise en œuvre lui sont étrangères. Or, la Constitution proposée va beaucoup plus loin. Elle formule des choix qui relèvent de la loi, voire du règlement. Elle inscrit des orientations qui procèdent non pas des caractéristiques permanentes d’une société, mais d’options conjoncturelles, liées à des choix partisans que les électeurs ou les circonstances peuvent modifier. Ainsi, par exemple, il ne revient pas à une Constitution d’ériger en “libertés fondamentales” les principes de libre établissement et de libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux (art I-4) et d’en définir les modalités d’application (III-133 à III-172), ni d’arrêter le détail d’une coopération judiciaire et policière (III-269 à 277) qui ne peut rester figée, ni d’empêcher une limitation du transport routier en croissance exponentielle (III-239), ni de décréter que la politique commerciale commune doit contribuer à la suppression des restrictions aux investissements étrangers directs (III-314). En inscrivant de tels choix dans un document auquel on confère une valeur constitutionnelle, on s’efforce d’imposer des orientations qui appartiennent au temps de la législature, mais qui ne pourront plus être désavouées par le suffrage universel. Dans des matières mouvantes, parfois controversées, la Constitution proposée impose des orientations qui ne pourront plus faire débat. Ce faisant, elle porte atteinte à la démocratie.

6. Elle ne détermine pas les frontières de l’Union européenne
Une Constitution classique définit le territoire sur lequel elle s’applique. Aucune disposition n’est consacrée au territoire. La Constitution proposée ne définit pas les frontières de ce qu’elle appelle Union européenne : “ L’Union européenne est ouverte à tous les Etats européens” (I-1,2 et I-58), mais aucune définition n’est donnée de ce qu’est un “Etat européen ”. La Constitution proposée se limite à l’énumération des Etats signataires (IV-440,1). Ceux qui proposent l’adhésion du Liban et d’Israël, voire des pays du Maghreb, peuvent donc poursuivre leurs efforts de dilution du projet européen dans une simple zone de libre-échange.

7. Elle exclut une citoyenneté européenne qui ne soit pas liée à une nationalité
La Constitution refuse de consacrer l’existence d’un peuple européen car elle serait alors contrainte de reconnaître sa souveraineté. Elle donne de la citoyenneté européenne une définition (art. I-10) très étriquée et confirme ainsi que la source des pouvoirs européens ne réside pas dans les peuples unis d’Europe, mais procède des Etats. La citoyenneté européenne demeure liée à la nationalité d’un Etat membre, ce qui revient à nier tout accès à une citoyenneté européenne de résidence pour ceux qui ont durablement résidé sur le sol européen. Or, la citoyenneté européenne se définit par les droits politiques qui sont reconnus par l’Union sur son sol et non par l’identité nationale. Pourquoi dès lors refuser ces droits à des ressortissants d’Etats tiers établis de longue date sur le sol européen et mettre fin ainsi à une discrimination faite à leur égard et déjà consacrée par la disparité des codes de la nationalité des différents Etats membres ?

8. Elle ne protège pas les pouvoirs régionaux et locaux
Parce qu’une Europe centralisée n’est pas conforme à la réalité européenne, une authentique subsidiarité est indispensable (gérer chaque matière au niveau le plus efficace : Commune, Association de Communes, Département/Province, Région, Etat, Europe). Elle implique la définition des attributions de chaque niveau de pouvoir si on veut empêcher que l’Union européenne puisse modifier les compétences des pouvoirs locaux ou régionaux comme la Commission européenne en manifeste l’intention ainsi que l’atteste le document IP/02/1180 du 31 juillet 2002. La Constitution proposée ne consacre pas l’existence des Régions autrement que par la mention d’un comité consultatif baptisé “Comité des Régions” (art I-32,2) qui, bien que composé d’élus, n’a guère été jusqu’ici écouté par la Commission, le Conseil et le Parlement. Quant aux Communes, elles sont totalement ignorées par cette Constitution. Les Régions comme les Communes font partie de la réalité européenne. Elles s’enracinent très profondément dans son histoire la plus lointaine. Pour être protégées contre les agressions de la Commission européenne, elles doivent être officiellement reconnues dans un texte auquel on entend conférer un statut constitutionnel.

S’agit-il dès lors d’une Constitution au sens généralement donné à ce terme en droit public ? En aucun cas.


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