Quand l’Union Européenne tue l’Europe
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LA CONSTITUTION PERMET-ELLE L’EXISTENCE DE SERVICES PUBLICS ?
Certains présentent
comme un immense progrès le fait que la Constitution reconnaîtrait enfin la
notion de service public rebaptisé – jargon européen oblige – Service d’Intérêt
Economique Général (SIEG). C’est une pure mystification.
Qu’est-ce qu’un service public ?
Des droits
fondamentaux sont proclamés. Ils garantissent l’égalité. Ils préviennent
l’exclusion. Encore faut-il qu’ils puissent être exercés. Proclamer ces droits
signifie l’obligation pour les pouvoirs publics d’en rendre l’exercice
possible. Le droit à l’éducation, à la santé, à la culture, au travail, au
logement, à un minimum de moyens d’existence, à l’accès à l’eau, à
l’électricité, à des moyens de transport et de communication exige des pouvoirs
publics qu’ils en garantissent le service. Proclamer un droit constitue un
choix de société : celle-ci s’impose une obligation générale de consacrer les
moyens nécessaires au droit égal de tous à un service donné. La notion de
service l’emporte dès lors sur celles de rentabilité et de concurrence. La
collectivité, gardienne de l’intérêt général, prend en charge les coûts du service
rendu à tous. C’est la base du service public tel qu’il a été conçu, avec des
variantes, dans plusieurs pays d’Europe au cours du XX ème siècle. Il est
devenu, au fil du temps, un instrument essentiel de cohésion sociale.
La Commission
européenne n’a jamais reconnu la notion de service public. L’expression est
bannie du langage eurocratique.
Dans la Constitution
proposée, la notion de “service public” est remplacée (II-96, III-122, III-166,
III-167) par celle, beaucoup plus ambiguë, de “services d’intérêt économique
général” (SIEG). Une nouvelle fois le texte utilise un vocabulaire qui
n’exprime aucun engagement de la part de l’Union européenne : celle-ci “reconnaît
et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est
prévu par les législations nationales... ” (II-96).
Mais qu’est-ce qu’un
SIEG ? Il n’y a aucune définition dans la Constitution proposée. Aucun chapitre
spécifique ne lui est consacré.
Il faut consulter
des documents de la Commission européenne pour obtenir une définition. En fait,
la Commission a provoqué la confusion en créant l’expression de “service
d’intérêt général” (SIG). Beaucoup ont pensé qu’il s’agissait d’une notion
beaucoup plus proche de celle de service public, puisque la référence
économique était absente. C’est une erreur. La Commission a publié en septembre
2000 une “communication sur les SIG”, en mai 2003 un “livre vert sur les SlG”
et en conclusion du débat provoqué par ces documents, elle a publié début 2004
un “livre blanc” sur le même sujet 11 .
Dans ces trois documents, la Commission
indique que la notion de SIG recouvre à la fois les services marchands et non
marchands, tandis que le concept de SIEG concerne les services de nature
économique auxquels les Etats imposent des missions de service public :
transports, poste, énergie, communications, par exemple. Alors que la notion de
SIG ne se trouve dans aucun traité, qu’elle n’est pas davantage inscrite dans
la Constitution proposée, en publiant, après la conclusion des travaux de la
Convention, un livre blanc sur le sujet, la Commission montre, une fois de
plus, qu’elle entend sortir du cadre des traités. A quoi bon, dès lors une
Constitution qui ne protège pas contre les abus de pouvoir d’une institution
sans responsabilité devant les citoyens ?
Il ressort de ces
documents de la Commission qu’une intervention des pouvoirs publics n’entrera
dans le cadre d’un SIEG que si la preuve est apportée que le marché ne
fournit pas le service attendu et pourvu que le SIEG ainsi autorisé respecte
les règles de la concurrence.
Jusqu’à quel point
peut-on concilier les lois du marché avec l’obligation de service ? Sur cette
question cardinale, la Constitution proposée répond : “les entreprises
chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant
le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la
Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où
l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou
en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ” (III-166).
Après avoir fourni la liste des aides publiques qui sont compatibles avec la
Constitution (III-167), liste qui ne mentionne ni les services publics, ni les
services d’intérêt économique général (SIEG), la Constitution indique que les
aides qui s’appliquent aux transports sont compatibles avec la Constitution
(III-238). Une nouvelle fois, cette Constitution présente des dispositions
contradictoires qui laissent tout loisir au juge d’interpréter.
La Constitution
(III-122) confie à une loi européenne le soin de définir les principes et les
critères économiques et financiers du fonctionnement de ces “services d’intérêt
économique général”. Contrairement à ce qu’affirme le social-démocrate
français, Olivier Duhamel, membre de la Convention, dans un livre 12 publié à l’issue des
travaux de celle-ci, cela ne représente en aucune façon une garantie, quand on
sait que le rédacteur initial de cette loi sera la Commission européenne, dont
on connaît l’acharnement en matière de démantèlement des services publics, dans
l’espace européen comme à l’OMC. Faire en outre de la Commission européenne la
gardienne du respect de cette loi représente une menace supplémentaire pour les
services publics, compte tenu des considérations développées à propos des SIG.
On vient de le voir,
contrairement à ce que sous-entendent les sociaux-démocrates français Delanoë,
Duhamel, et Strauss-Kahn ainsi que les Verts français 13 , le “service
d’intérêt économique général” n’est pas ce qu’il est convenu d’appeler le
service public. La Constitution proposée ne le reconnaît pas et ne le protège
pas. Elle met en place les mécanismes permettant de le détruire.
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