Quand l’Union Européenne tue l’Europe
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COMMENT POURRA-T-ON MODIFIER LA CONSTITUTION DANS L’AVENIR ?
Les partisans de la
Constitution proposée s’efforcent de la présenter comme un document acceptable
et flexible en mettant en avant les changements qu’ils affirment pouvoir y
apporter. D’aucuns annoncent une Europe sociale qu’ils n’ont pas réalisée
lorsqu’ils disposaient des majorités politiques nécessaires ; d’autres promettent
des amendements substantiels à la troisième partie de la Constitution, voire
même sa sortie du texte.
Que valent de telles
promesses en forme d’appâts ? Souvenons-nous de l’attrape-nigauds lancé par
Jacques Delors : “acceptez Maastricht et nous ferons l’Europe sociale tout
de suite après.” On attend encore et toujours.
En fait, ils nous
mentent et ils nous trompent. Parce qu’ils savent que ce n’est pas possible. La
Constitution européenne proposée va présenter une caractéristique unique au monde
: sa modification va requérir l’unanimité. C’est ce que précise l’article
IV-443,3 : “les amendements entrent en vigueur après avoir été ratifiés par
tous les Etats membres” au terme d’une procédure très lourde qui comporte
la réunion d’une Convention suivie des travaux d’une conférence
intergouvernementale. Un seul Etat pourra s’opposer à toute modification. Il
sera plus aisé de modifier la Constitution des Etats-Unis que celle de l’Union
européenne.
Certains, comme le
député social-démocrate français Jack Lang 16 , affirment que “l'unanimité
est de règle en droit international ”. Mais alors cessons de parler de
Constitution, cessons de conférer à un traité un statut et des pouvoirs de
nature constitutionnelle, supprimons l’article I-6 ! Mais chacun sait qu’il
est trop tard pour modifier le texte.
Les partisans de la
Constitution proposée avancent aussi que la technique de la “clause passerelle”
permettra de modifier facilement la Constitution. Le Maire social-démocrate de
Paris Delanoë et le député social démocrate français Strauss-Kahn vont même
jusqu’à affirmer 17 qu’il
s’agit d’une “innovation-clé qui donne à ce traité une capacité d’évolution
supérieure à ses prédécesseurs”. Il s’agit en fait d’une procédure
simplifiée de révision de la Constitution prévue par les articles IV-444 et
IV-445. Dans les matières où la Constitution prévoit que les décisions
doivent être prises à l’unanimité du Conseil des Ministres, le Conseil européen
(les Chefs d’Etat et de gouvernement) pourra décider, sans avoir recours à la
procédure prévue de révision, de procéder à des modifications. Mais ce que les
laudateurs de cette procédure passent sous silence, c’est que les Chefs d’Etat
et de gouvernement devront être unanimes et ensuite que les
modifications devront être ratifiées par tous les Etats membres.
Misant sur
l’inintelligibilité des textes et la complexité des procédures, les mêmes
veulent faire croire que “ce traité est un point de départ, en aucun cas un
point d’arrivée” et laissent entendre qu’une voie royale est ouverte aux
changements par les coopérations renforcées. Il s’agit d’une procédure
introduite dans le traité d’Amsterdam et précisée dans celui de Nice. Elle est
confirmée dans la Constitution proposée. Les Etats qui le souhaitent – le
nombre minimum n’est pas indiqué, alors que le traité de Nice le fixait à huit
– peuvent décider d’une intégration plus poussée dans des politiques de leur
choix, comme l’espace Schengen ou la zone Euro en fournissent des exemples.
Mais cette faculté
est encadrée par 4 importantes limites qui interdisent de présenter cette
procédure comme un argument pour surmonter et accepter les insuffisances de la
Constitution proposée.
1.
ces coopérations
renforcées ne peuvent être envisagées que dans des domaines visés par la
Constitution qui n’entrent pas dans le cadre des compétences exclusives de
l’Union (III-419). Les compétences exclusives de l’Union sont composées des
matières où seule l’Union peut légiférer (III,115). Ce qui exclut toute
coopération renforcée en ce qui concerne l’union douanière, les règles de
concurrence dans le marché intérieur, la politique monétaire dans la zone Euro,
la conservation des ressources biologiques de la mer et la politique
commerciale commune. En outre, l’Union dispose d’une compétence exclusive “pour
la conclusion d’un accord international lorsque cette conclusion est prévue
dans un acte législatif de l’Union ou qu’elle est nécessaire pour lui permettre
d’exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible
d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée” (I-13,2).
2.
l’article III-416
précise que ces coopérations renforcées “ne peuvent porter atteinte au
marché intérieur, ni à la cohésion économique, sociale et territoriale. Elles
ne peuvent constituer ni une entrave ni une discrimination aux échanges entre
les Etats membres, ni provoquer de distorsions de concurrence entre ceux-ci”.
Si, par exemple, quelques Etats, considérant que l’eau appartient au patrimoine
commun de l’humanité et que l’accès à l’eau potable est un droit fondamental
pour tous, veulent adopter une disposition commune faisant obligation aux
pouvoirs publics de permettre l’exercice de ce droit, il ne fait aucun doute
qu’une telle disposition sera immédiatement qualifiée de distorsion à la concurrence.
Elle ne pourra dès lors faire l’objet d’une coopération renforcée.
3.
c’est la Commission
européenne qui apprécie la demande des Etats de développer une coopération
renforcée dans un domaine donné (III-419,1). Quant on se rappelle les
orientations nettement néolibérales de la Commission, on est en droit de
craindre que toute initiative renforçant un tant soit peu les pouvoirs publics
sera d’emblée écartée.
4.
l’article III-419,2
précise : “l’autorisation de procéder à une coopération renforcée est
accordée par une décision européenne du Conseil, statuant à l’unanimité.”
Il faudra donc que les Etats qui ne veulent pas procéder à une intégration plus
poussée dans un domaine donné autorisent à aller de l’avant ceux qui
l’envisagent. On imagine mal des gouvernements conservateurs accorder leur feu
vert à des gouvernements progressistes.
La procédure des
coopérations renforcées n’offre en rien un espoir sérieux de modifier le texte
selon les procédures classiques de révision d’une Constitution.
Les Verts,
prétendument voués à des pratiques politiques nouvelles, se sont ingéniés à
brouiller encore un peu plus les cartes et ont ajouté à la confusion des idées
en prétendant qu’il était possible d’approuver telle partie du traité
constitutionnel tout en rejetant telle autre 18
Pour qui s’en tient
au texte, il ne fait aucun doute que la Constitution proposée est un tout à
accepter ou à refuser en bloc sans espoir de pouvoir y apporter des
modifications dans un avenir prévisible. Cette Constitution ferme l’avenir. Le
nôtre et celui de nos enfants. Elle nous livre pieds et poings liés au monde
des affaires et de la finance. Une coalition momentanée de gouvernements
conservateurs et de libéraux de droite et de gauche impose aux peuples d’Europe
et à leurs descendants un modèle de société qui incarne la victoire de
l’idéologie marchande. Dans l’article 28 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen de l’An I de la République française (1793), les
fondateurs de la République avaient eu la sagesse et la modestie d’inscrire une
disposition qui fait cruellement défaut aujourd’hui : “Un peuple a toujours
le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération
ne peut assujettir à ses lois les générations futures”
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