Quand l’Union Européenne tue l’Europe
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LA CONSTITUTION EST-ELLE NEUTRE PHILOSOPHIQUEMENT ?

En 2003, le Vatican et un certain nombre de gouvernements qui, ce n’est pas un hasard, comptaient parmi les plus néolibéraux (Espagne, Irlande, Italie, Pologne et Portugal) ont fait pression pour exiger, une référence explicite au christianisme parmi les valeurs fondatrices de l’Europe. Cette démarche, qui a retenu l’attention des médias, a occulté des dispositions autrement plus dangereuses concernant les rapports entre les cultes et les pouvoirs publics européens. Pendant qu’on distrayait l’attention sur les valeurs fondatrices, le principe d’une Europe laïque, seul cadre possible pour une cohabitation paisible entre croyants et non croyants, était remis en cause.

Dans un Etat moderne, répondant aux principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, dans le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Constitution a pour devoir de garantir la neutralité de la sphère publique, condition indispensable à l’exercice du droit de “toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion ” (article 18 de la Déclaration universelle).

La Constitution offre-t-elle cette garantie de neutralité ? Deux articles permettent d’en douter :

a) L’article II-70 proclame le droit de toute personne à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce qu’on ne peut qu’approuver. Mais le même article poursuit : “ Ce droit implique la liberté (...) de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ”. Il s’agit d’une disposition qui met fin à l’idée de neutralité des espaces et bâtiments publics et des personnels occupés dans la fonction publique. Ainsi formulée la liberté religieuse consacre le retour en force du religieux dans la sphère publique.

b) L’article I-52,1 affirme : “L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient en vertu du droit national, les églises et les associations ou communauté religieuses dans les Etats membres”. Ce qui signifie que l’Union prend acte des dispositions nationales réglant les rapports entre les confessions religieuses et les pouvoirs publics. Un deuxième paragraphe présente une disposition identique pour les “organisations philosophiques et non confessionnelles.” Mais le paragraphe 3 du même article ajoute “reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations.

Le caractère anodin de cette formulation recouvre en fait un choix majeur. La Constitution rejette le principe de la laïcité des institutions européennes et impose un régime spécifique de relations entre les églises et l’Etat : celui du culte reconnu. Un tel régime comporte des implications très précises, comme la possibilité pour les pouvoirs publics européens de subventionner ces églises érigées en partenaires de ces pouvoirs publics.

Cet article I-52, dont l’origine se trouve dans une déclaration (n’11) annexée au traité d’Amsterdam, constitutionnalise une pratique discrétionnaire de la Commission européenne inaugurée sous la présidence Delors et poursuivie sous celles de Santer, puis de Prodi consistant à accorder de l’argent public à des organisations confessionnelles, comme par exemple l’Opus Dei. Cet article I-52 répond à l’attente, formulée pendant les travaux de la Convention, par Joseph Homeyer, Evêque de Hildesheim et président de la Commission des Episcopats de la Communauté européenne qui demandait le dialogue prévu au paragraphe 3, mais aussi une “consultation prélégislative” La Constitution européenne réduit à néant des siècles de luttes pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. En ces temps où renaissent les intolérances religieuses consécutives aux efforts de reconquête des espaces publics par les religions, la Constitution proposée consacre cette régression.

Comment conjuguer la prééminence de cette Constitution européenne instaurant un système de cultes reconnus avec l’article 1 de la Constitution française qui affirme que la France est une République laïque ?

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