Un ministre qui censure les lectures de 70 000 profs

(Extrait du «Canard enchainé» du 30/03/2005)

AVANT même les récents sondages, et déjà inquiet de la progression du non chez les enseignants, le ministre de l’Education a pris un risque, celui de paraître ridicule. Il a décidé de censurer, puis de retarder la parution d’un numéro spécial de «Textes et documents pour la classe», une revue destinée à 70 000 profs de lycées et collèges. Lesquels venaient d’être invités à. s’en inspirer avant d’organiser des débats dans leurs classes, et de familiariser les adolescents «avec les développements de l’Union européenne». Le 10 février, le «Bulletin officiel» du ministère adressé aux dirigeants des rectorats, des inspections et des établissements demandait à tous de rester «attentifs à la pluralité des opinions qui pourraient être exprimées».
Une excellente directive, et défense de ricaner en lisant ce qui suit. A savoir une histoire où la stupidité le dispute à l’intolérable, car l’équipe de rédaction, l’impression et la diffusion de ces « Textes et documents » sont financées sur les crédits du respectable ministère de l’Education.

Le ”non” au panier

En décembre 2004, les responsables de cette revue se mettent au travail. Ils demandent à Florence Deloche-Gaudez, prof à Sciences-po (favorable au oui), et à Dominique Rousseau, prof à l’université de Montpellier et membre du Conseil supérieur de la magistrature (partisan du non), de participer à un débat destiné à être publié le 15 mars.
Le sommaire de ce numéro et le choix de ces deux spécialistes des questions européennes sont «validés» (acceptés, dans le jargon administratif) par le ministère. Tout est bientôt prêt, titres, photos et textes déjà imprimés, quand, soudain, Fillon s’affole. Sans doute craint-il que les 70 000 profs ne deviennent encore plus réceptifs aux arguments du non. Et si, par malheur, leurs élèves-ados, après discussions en classe, allaient ensuite influencer le vote de leurs parents ?
Résultat : le 24 février, Dominique Rousseau est averti que «le cabinet du ministre» refuse de publier sa contribution au débat avec la prof favorable au oui. Puis on lui fait cette proposition grotesque : s’il accepte de supprimer certains arguments prônant le non, et de laisser sa collègue conclure le débat, il sera «peut-être possible» de publier une partie de son texte. Aucune promesse ferme et, d’ailleurs, Dominique Rousseau a refusé. La revue censurée paraîtra cette semaine.
Ironie de l’histoire, le ler février dernier, la même revue «Textes et documents» publiait un numéro très réussi sur «La propagande». Voilà qui a dû inspirer François Fillon, naguère partisan du non au traité de Maastricht. On ne peut pas être et avoir été...
C. A.

Le censeur Fillon a recruté des assistants

(Extrait du «Canard enchainé» du 13/04/2005)

LE 6 avril, le ministre François Fillon s'est félicité sur FranceInfo d'avoir censuré et retardé la parution de " Textes et documents pour la classe " (TDC), une revue de l'Education nationale destinée à 70 000 profs de lycées et collèges. Lesquels auraient dû, selon les vœux du ministère, s'inspirer de son contenu pour organiser des débats avec leurs élèves-ados sur le projet de Constitution européenne. Argument invoqué par Fillon pour justifier sa réaction de petit chef : " La neutralité de l'école républicaine (...) et la laïcité (sic). " C'est pourtant son ministère qui, en décembre 2004, avait souhaité que figure dans ce numéro de " TDC " un débat organisé par un journaliste entre deux spécialistes des questions européennes : Florence Deloche-Gaudez (favorable au oui) et Dominique Rousseau, membre du Conseil supérieur de la magistrature (partisan du non). A la fin février, Fillon s'inquiétait si fort de la progression du non chez les enseignants qu'il exigea qu'on balance à la poubelle le texte fourni par Dominique Rousseau. Et qu'on publie, toujours sur les crédits du ministère, un autre numéro de " Textes et documents ". Celui-ci vient de paraître et il mérite d'être salué comme il convient : un gros tract de 32 pages pour prôner le oui.

Propagande à deux balles
Au tableau d'honneur de sa rédaction et recrutés pour l'occasion, deux profs de Sciences-Po que la censure ministérielle et la mise au panier du travail de leur collègue Rousseau ne révoltent guère. Et d'un : Olivier Duhamel, ex-député européen du PS, qui signe un éditorial tout mignon et favorable à la Constitution. Et de deux : Florence Deloche-Gaudez, qui en fait l'éloge sur deux pages. Le reste de la revue est du même tonneau : hors du oui, point de salut... Après la parution d'un article du " Canard " (30/3) relatant la décision de Fillon prise dans l'affolement, quatre syndicats ont réagi. A savoir : la FSU, la Ligue de l'enseignement, le SGEN-CFDT et l'Unsa Education. Bien que leurs positions soient " divergentes " sur la Constitution européenne, ils ont, le 5 avril, dénoncé ensemble la position de leur ministre : " Censure attentatoire à la mission laïque du service public ", disent-ils. Et ils sont bien moins polis quand ils en parlent entre eux.

C. A.




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