Un Munich diplomatique

Entretien avec Daniel Percheron
Président (PS) de la région Nord-Pas-de-Calais et sénateur du Pas-de-Calais
(Extrait du Courrier des maires et des collectivités locales d'octobre 2004)

Patron d’une région fortement touchée par les restructurations et les délocalisations, le sénateur du Pas-de-Calais appelle au rejet d’une "Europe marché" au sein de laquelle, selon lui, la France a cédé à la Grande-Bretagne.

LE COURRIER : Pourquoi appelez-vous au non alors que vous avez soutenu toutes les précédentes étapes de l’Union européenne ?
DANlEL PERCHERON : Parce que cette Constitution renonce à une Europe puissance indépendante des Etats-Unis, à une Europe providence qui protégerait ses salariés. Elle trouve comme seul remède à sa propre impuissance l'exaltation du marché et du libre-échangisme total à la manière de l’ancien commissaire européen Pascal Lamy. Je crois qu’il est temps de dire non, comme lorsque le général de Gaulle a pratiqué la politique de la chaise vide pour provoquer la création de la Politique agricole commune (PAC).
LE COURRIER : Votre référence au général de Gaulle signifie-t-elle que vous souhaitez un retour de la nation ?
D. P. : Absolument pas, j’ai toujours été inconditionnellement favorable au dépassement de ce cadre. Je m’inscris dans le discours de François Mitterrand selon lequel le "nationalisme, c’est la guerre". Je souhaite la naissance d’une super-nation européenne avec une armée commune, un président et un parlement élus au suffrage universel direct. Je suis bien placé, moi qui ai lu interminablement depuis trois ans tout ce qui s’écrit sur l’avenir des institutions, pour savoir que ce n’est pas à l’ordre du jour.
LE COURRIER : mais cela n’est pas forcément inéluctable. Ce traité pourra être modifié selon la même règle que les précédents...
D. P. : Nous en prenons pour deux ou trois décennies, car nous sommes 25, bientôt 27 avec la Roumanie et la Bulgarie, peut-être 28 avec l’entrée de la Turquie à laquelle je suis totalement défavorable. Or les révisions devront se faire à l’unanimité. Nous sommes, je pense – je n’en ai pas la certitude – au bout d’un cycle, celui d’hommes exceptionnels qui ont su construire le miracle de la paix. La donne aujourd’hui change. Le capitalisme mondialisé échappe désormais au contrôle de la puissance publique. On envisage d’abandonner la PAC sans même consulter les citoyens. Dans ma région, 30000 emplois dans le textile sont compromis durant les trois ou quatre prochaines années.
LE COURRIER : Comment l Europe doit-elle, à vos yeux, mieux lutter contre les déIocalisations ?
D.P.: Je souhaite la mise en place d’un impôt unique sur les sociétés dont 30 % du produit serait reversé vers les pays du Sud. Dans le même temps, il faut, à mon sens, transposer ce qui s’est fait dans le domaine agricole à l’industrie. L’Europe doit se protéger et devenir une zone d’autodéveloppement. Hélas, elle ne parle plus aujourd’hui de préférence communautaire. Et les ouvriers, en particulier dans ma région, sentent bien qu’ils y ont tout à perdre.
LE COURRIER : Est-ce pour coller à cet électorat populaire qui avait tant manqué à Lionel Jospin le 2f avri1 2002 que vous appelez au rejet du traité ?
D. P. : Dans ma région, je suis en première ligne, au cœur des doutes des couches populaires. En même temps, les cimetières du Nord-Pas-de-Calais me rappellent chaque jour l’histoire tragique de l’Europe. Voilà pourquoi je statufie Jean Monnet. Je suis aussi très attentif au "oui" de Pierre Mauroy que je comprends et que je respecte.
LE COURRIER : Vous attendez-vous à un succès du non lors du référendum de l’an prochain ?
D. P. : Il y a peux de chances. Lors de notre prochaine consultation interne, tout du moins, je n'y crois pas. Les militants ne voteront pas qu’en fonction du texte, mais aussi au regard de l’unité du parti et d’une forte adhésion à la personnalité importante de François Hollande. Le "oui" a, il est vrai, sa part de logique et de sécurité pour l’avenir du PS.
LE COURRIER : Comment expliquez-vous que seuls, parmi les socialistes européens, certains François s’opposent au texte ?
D. P. : L’argument de l’isolement ne tient pas à mes yeux. Lors de l’allocution fondamentale au Bundestag de François Mitterrand – "les pacifistes sont à l’ouest, les missiles à l’est" –, nos amis, en Europe, étaient soit critiques, soit silencieux. Pourtant ce discours préparait l’événement inouï de l'implosion du pacte de Varsovie. Il ouvrait des perspectives.
Aujourd’hui il n’est pas exclu que l’Europe soit sortie de l’histoire depuis qu’elle s’est brisée instantanément sur l’affaire irakienne. La Grande-Bretagne a gagné la partie sur la Constitution. Elle a dit non à toutes les avancées et sa vision l’a emporté.
LE CQURRIER : Est-ce à dire que vous estimez que la France a perdu en influence ?
D. P. : C’est une évidence. La composition de la Commission européenne, avec un Anglais en deuxième position, le prouve. C’est un Munich diplomatique. J’imagine d’ailleurs assez bien le commissaire français revenant pour dire : "Formidable, je suis en cinquième position dans l’ordre des commissaires". Je suis un socialiste de la génération Mitterrand, avec Jacques Delors, président de la Commission, Catherine Lalumiére secrétaire générale du Conseil de l’Europe, Michel Camdessus, patron du Fond monétaire international. Pour moi, l’Europe n’a de sens que si elle est une France en grand. Or, aujourd’hui, elle ne rêve que du village global. Si nous voulons avoir une petite chance qu’elle se donne les moyens de son unité, de son indépendance, de sa force, de son rayonnement, alors il faut dire non.


Un pas en avant incontestable

Entretien avec Adrien Zeller
Président du conseil régional d’Alsace, coprésident de l’Institut de la décentralisation, président de la commission permanente du Conseil national de l'aménagement et du développement durable du territoire(CNADT)
(Extrait du Courrier des maires et des collectivités locales d'octobre 2004)

Cet Européen "de passion", hostile à l’origine à l’adoption de la Constitution par voie référendaire, se montre très sévère à l’égard des tenants du non. Il estime que ceux-ci commettent une faute historique majeure.

LE COURRIER : François Hollande considère que la constitution européenne ne comprend aucun recul mais que des avancées. Reprendrez-vous sa formule à votre compte ?
ADRIEN ZELLER : Evidemment, car ce traité accroît la démocratie en renforçant les pouvoirs du parlement européen, notamment dans le choix du président de la Commission. Ce n’est pas un hasard s’il est principalement l'œuvre des représentants du peuple via la Convention européenne pour l'avenir des institutions. En aucun cas il ne grave le libéralisme dans le marbre comme je l’entends dire ici et là. La preuve, il fait une référence directe au dialogue social. L’ensemble des syndicats qui, à l’exception de FO, l’approuvent au Conseil économique et social européen, ne s’y trompent d’ailleurs pas. Les pays du Nord, comme le Danemark, bien plus avancés que nous sur le plan social, sont aussi sur cette ligne. C’est un signe à mes yeux.
LE COURRIER : Quels arguments opposez-vous à Laurent Fabius qui souhaite une crise salvatrice pour en finir avec une Europe simple zone de libre-échange ?
A.Z.: Croit-il qu’un refus du traité permettrait d’obliger l’Angleterre à passer à la majorité qualifiée dans le domaine social ? En disant non, M. Fabius a en fait trouvé un "truc" pour se positionner. Si M. Jospin avait été élu président de la République, les socialistes auraient voté mot pour mot ce traité. C’est pourquoi je porte un jugement très sévère sur un certain nombre d’entre eux. Si le non l’emporte, tout sera bloqué. La France s’auto-exclura de la discussion. L’Europe n’est pas un club ou une société anonyme. C’est l’histoire avec un grand "h" de la réconciliation et de l'unification d’un continent, une œuvre sans équivalent dans le monde à ce jour. Si on ne comprend pas cela, on ne mérite pas d’être un responsable politique. Il faut y réfléchir, pas à une fois, mais à dix fois avant de dire non.
LE COURRIER : Cela signifie-t-il que vous craignez que le non l’emporte lors du référendum de l’an prochain ?
A.Z. : Je n’étais pas favorable à cette consultation, contrairement à 1992 où la question sur la monnaie unique était simple. Je considère que les hommes politiques doivent prendre eux-mêmes leurs responsabilités. Maintenant, je respecte la décision du chef de l’Etat. Je ne suis de toute manière pas très inquiet. Le oui, le bon sens des gens l’emportera.
LE COURRIER : Pourtant, ce texte ne prévoit pas d’harmonisation fiscale et sociale...
A. Z : Je le regrette, pourtant ce n’est pas parce qu’on n’a pas tout obtenu que ce traité est mauvais. Il ne représente pas la fin de l’histoire. On ne peut pas encore parler de Constitution, c’est vrai. Malgré tout, ce texte Axe un cadre, sans dicter la nature des politiques. C’est un pas en avant incontestable. La maison Europe, depuis Robert Schuman, a toujours progressé ainsi. Après tout, Rome ne s'est pas construite en un jour.
LE COURRIER : Ne redoutez-vous pas que la question de l’entrée de la Turquie dans l’Union provoque des divisions, particulièrement au sein de votre électorat ?
A. Z : Je suis pour l’idée d’un référendum sur ce sujet. Pas demain matin, simplement le moment venu. Les négociateurs européens doivent comprendre que les changements de civilisation en Turquie seront très progressifs. Il ne faut pas se précipiter. Dans ce domaine, le temps doit être notre meilleur allié.
LE COURRIER : Comment comptez-vous dans cette campagne réduire le fossé entre les couches populaires et l’Europe, constaté lors du référendum de Maastricht ?
A.Z. : Mon électorat a toujours été composé d’ouvriers, de gens issus de milieux simples. Je connais donc bien leurs difficultés et J’estime que dans le cadre de l’ouverture des frontières, Il faut mieux lutter contre les délocalisations dont l’Alsace est la première région victime en France avec 9009 emplois industriels perdus depuis deux ans et demi.
LE COURRIER : Comment l’Europe peut-elle lutter contre les délocalisations ?
A.Z. : Je donne raison à Nicolas Sarkozy lorsqu’il propose de lier l’attribution des fonds structurels à l'harmonisation de la fiscalité. J'insiste sur le terme "harmonisation". Il ne s’agit pas d’unifier ou d'uniformiser.
LE COURRlER : La France semble isolée dans ce combat. Comment expliquez-vous cette situation ?
A.Z : Nous ne sommes plus 6 ou 12 mais 25. La France est trop frileuse sur la scène européenne. Elle doit lancer des initiatives et prendre pour modèle ce qui s’est fait à propos de l’épargne anonyme. Cela a pris dix ans mais chaque Etat a aujourd’hui des prélèvements, ce qui n'était pas le cas auparavant.
LE COURRIER : Comment comptez-vous défendre les intérêts de l’Alsace dans les discussions autour de la nouvelle politique régionale européenne ?
A. Z. : II ne faut surtout pas désarmer cette politique. Il faut t’orienter davantage vers des territoires perdants comme le mien. Je me battrai jusqu’au bout pour cela. Mais ce n’est pas en sortant des clous de Maastricht, en négligeant les élections européennes ou en rejetant ce nouveau traité, que la France sera plus forte dans cette négociation.
Propos recueillis par J.-B. F.


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