Ces quelques mots qui empoisonnent le référendum (Extrait du "Canard enchainé" du 16 mars 2005)
IL ne fait que deux lignes, le projet de loi qui sera soumis au référendum le 29 mai prochain. Deux petites lignes qui ont, pourtant, fait l’objet d’intenses tractations, et qui continuent de mobiliser l’Elysée, Matignon, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat, le ministère de la Justice et le Parlement. Rien que cela.
A l’origine de cette intense agitation politique, l’avis rendu le 19 novembre par le Conseil constitutionnel. Consultés sur le texte de la Constitution européenne, les neuf juges du Palais-Royal ont estimé qu’il ne remettait pas en cause la forme républicaine de l’Etat, laquelle n’est pas susceptible de "révision", mais qu’il était nécessaire d’apporter quelques retouches à la Constitution française. Surtout, le Conseil a émis quelques "réserves d’interprétation". En clair, tout en acceptant le texte du traité européen, les "sages" donnent des précisions sur la manière de le lire et de le comprendre. Ce qui signifie, a contrario, que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution française, notamment sur les questions de la laïcité ou du communautarisme.
Réserves envolées

Lorsque le Sénat a discuté, puis voté les retouches constitutionnelles nécessaires, le Sénateur PS Michel Charasse a déposé des amendements pour donner force de loi à ces "réserves" exprimées par le Conseil. Après un échange courtois, 1e ministre de la Justice, Dominique Perben, s’est engagé à ce que l’avis du Conseil constitutionnel soit "visé dans la loi autorisant la ratification du traité". Parfait, a répondu Charasse : "Je crois à la parole du garde des Sceaux." Et il a retiré ses amendements.
Mais dans les deux lignes qui seront finalement soumises au vote des Français, et qui ont été publiées au "journal officiel" du 10 mars, pas un mot du fameux avis du Conseil constitutionnel. Que s'est il passé ? Apparemment, une incroyable embrouille...
Dans le texte préparé par Perben, la mention des "réserves" du Conseil figurait en toutes lettres. Le garde des Sceaux avait donc tenu parole. Mais quand ce même texte a été examiné par le Conseil d’Etat, obligatoirement consulté lui aussi, les quelques mots avaient disparu. Il semble que Matignon en ait modifié la rédaction au tout dernier moment.
Les choses ont commencé à se gâter quand le Conseil constitutionnel a reçu cette dernière version, qui ne faisait donc mention ni de son précédent avis ni de ses "réserves". Devant tant de désinvolture, Pierre Mazeaud, président du Conseil, a piqué une rogne et a menacé de rendre un avis négatif, ce qui aurait été, pour la campagne du "oui", un véritable désastre. Averti, Chirac a juré qu’il n’y était pour rien, et même ne voyait aucun inconvénient à "Ce qu’il y ait une référence aux fameuses "réserves" d'interprétation.
Oui, mais comment rattraper le coup, alors que toute la procédure était quasiment achevée ? Furieux, Mazeaud a griffonné quelques lignes d’un "exposé des motifs", encore non publié, qui mentionne enfin les "réserves". Cet ajout devrait être adressé aux électeurs, qui selon toute vraisemblance n’y comprendront goutte, ou n’y verront que du feu. Pour faire bonne mesure, dans le décret qui soumet la loi au référendum, Chirac a ajouté la mention "vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004". Ce qui est d’une parfaite limpidité, et éclairera le Français moyen.
Ces bricolages apaiseront peut-être les fureurs et soigneront les susceptibilités. Mais, d’un point de vue juridique, ni le décret ni un "exposé des motifs" curieusement ajouté après coup n’ont la force juridique du texte de loi lui-même. Résultat : en cas de litige, les instances internationales, la Cour de Luxembourg ou la Cour de Strasbourg, pourront s’asseoir sur l’interprétation du Conseil constitutionnel. Ce qui donne un nouvel argument aux tenants du "non"...


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